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Eléments de conclusion

Conformément à ce que l'on pouvait attendre d'un point de vue théorique, le remplacement de l'ensemble des aides spécifiques attachées à telle ou telle production ou à tel ou tel groupe de production par une prime unique uniforme par unité de surface se traduit par un avantage collectif. En d'autres termes, la mise en oeuvre de ce type de prime, ajustée en fonction d'une enveloppe budgétaire donnée, se traduit par une hausse du revenu agricole global. En première analyse, sans tenir compte des effets induits ou indirects au niveau du consommateur final (a priori peu concerné si l'on raisonne à prix constant) et au niveau de l'amont et de l'aval du secteur agricole (pour lesquels les répercussions peuvent ne pas être négligeables), le "surplus" agrégé intégrant les revenus agricoles et l'impact sur les contribuables au titre des seules aides directes (donc non compté l'effet sur les restitutions aux exportations) ne peut donc qu'augmenter à l'échelle européenne.

Cela ne préjuge pas de ce qu'il advient à des échelles plus fines. Tout dépend de l'échelle à laquelle est définie la prime uniforme. Quelque soit l'échelle, par construction, les niveaux de prime ne modifient pas l'enveloppe budgétaire globale pour l'Europe. Mais les transferts budgétaires sont évidemment tributaires de l'échelle des récipiendaires et de l'échelle de calcul de la prime. En d'autres termes, si on s'intéresse aux transferts budgétaires vers les Etats membres, une prime unique européenne ou une prime nationale n'ont pas le même impact. De façon équivalente, les marges brutes sont également concernées par le choix des échelles.

L'échelle de calcul de la prime garantit donc, à cette échelle, que l'ensemble des producteurs ne sera pas "perdant". Par contre, il peut en aller différemment si l'on considère l'impact sur des sous-ensembles de producteurs. La prime calculée à l'échelle du groupe type garantit qu'aucun groupe type de producteurs ne sera perdant. La prime calculée à l'échelle de la Région garantit que les producteurs de la Région dans son ensemble ne seront pas perdants, mais il n'en va plus de même pour chacun des groupes types considérés séparément. Le même raisonnement peut être effectué lorsque la prime est calculée à l'échelle nationale, puis à l'échelle européenne. En résumé, l'avantage agrégé est inchangé, mais les impacts à une échelle inférieure à l'échelle de définition de la prime ne sont pas nécessairement positifs.

A priori, surtout si cela se fait sous le contrôle et avec le soutien d'une entité supra-nationale (la Commission, le Conseil des représentants des Etats), un accord devra se traduire par un avantage collectif positif. En d'autres termes, les avantages dont bénéficieraient les uns devraient dépasser les inconvénients supportés par les autres. De ce point de vue, certains Etats préfèreront une prime uniforme définie par Etat plutôt que la prime uniforme UE, qui offre le même acroissement agrégé UE de marge brute, et une dépense UE constante, mais avec évidemment dans la cas de la prime "nationale" un accroissement de marge nécessairement positif à l'échelle nationale.

A une échelle donnée, pour s'assurer qu'il n'y ait pas de "perdant", il convient d'accepter le principe de transferts budgétaires. En d'autres termes, la mise en oeuvre d'une prime unique devrait être combinée à une redistribution des transferts budgétaires entre partenaires, quelque soit l'échelle (nationale si la prime est européenne, régionale si la prime est nationale).

Mettons l'accent sur l'échelle nationale de calcul de la prime. Dans la perspective d'une négociation entre Etats membres, l'avantage national qu'obtiendrait un Etat membre pour le compte de ses producteurs pourrait représenter sa contribution à toute "coalition" d'Etats membres à laquelle il pourrait appartenir. Chaque Etat serait fondé à rejoindre toute coalition qui accepterait comme minimum de soutien pour chacun des coalisés le niveau de dépenses budgétaires de référence.

Dans la négociation, le "point de désaccord", selon la terminologie de la théorie des jeux de coalitions, correspond au minimum qu'il peut obtenir de façon isolée. On peut penser que ce point de désaccord, dans le cas présent, correspond à la situation de blocage de toute réforme. Pour un Etat, ce serait le gain en dessous duquel tout accord serait refusé par un Etat membre de façon crédible, compte tenu des règles de décision en vigueur. En l'occurence, un Etat membre n'accepterait d'étudier et discuter d'une proposition de réforme que s'il est convaincu, au minimum, qu'il n'y perde pas. Compte tenu de l'importance de la réforme, par son principe même, on n'imagine pas qu'un Etat ne soit contraint de l'accepter par exemple dans un vote à la majorité qualifiée. Dans cette négociation, le point de désaccord peut être assimilé à la situation de statu quo (i.e. l'Agenda 2000).

Ce "point de désaccord" est l'un des éléments importants d'une négociation, puisque cela représente ce que chaque "joueur" peut au minimum retirer pour son propre compte. L'autre élément important est l'avantage collectif, ici inchangé par l'échelle utilisée pour le calcul de la prime, et qui représente en quelque sorte le "gâteau" à partager. Rappelons que la situation de référence est fondée sur la mise en oeuvre de l'Agenda 2000 à son stade terminal. D'après nos simulations, l'avantage européen d'une prime à l'hectare en échange de la suppression de toutes les formes de soutien est estimé à 1,76 milliards d'euros. Le vecteur caractérisant les impacts de marge brute agricole consécutifs à la mise en oeuvre d'une prime nationale a également été estimé, à partir de la prime fondée sur les dépenses budgétaires de référence pour chacun des Etats membres (voir la section §5.2.1).

La France tirerait avantage de tout système de prime unique à l'hectare se substituant à l'ensemble des soutiens existants. Cet avantage serait de près de 400 millions d'euros s'il était fondé sur la mise en oeuvre d'une prime unique pour l'UE dans son ensemble. Il serait de 630 millions d'euros si la prime était calculée sur la base du maintien du soutien budgétaire agricole de référence à l'échelle nationale.

Un Etat membre est logiquement fondé à proposer le scénario qui lui apportera l'impact national le plus favorable. Mais l'Etat doit compter avec l'intérêt de chacune des Régions, dans la mesure où celles-ci ont acquis un certain "pouvoir de négociation" à l'échelle communautaire. Chacune des régions, pour son propre compte, peut intégrer les étapes de ce jeu en se démarquant éventuellement de l'intérêt national. Un Etat membre peut également privilégier un impact plus équilibré entre les régions au détriment d'un avantage national plus grand, dans la mesure où la peréquation des soutiens est soumise elle-même à des règles européennes plus ou moins contraignantes.

Il est donc important de pouvoir préciser les impacts d'une réforme à l'échelle régionale, ce que l'étude a tenté de faire en particulier sur le territoire français. La section §5.3 détaille un certain nombre de résultats pour les Régions françaises. A partir d'une situation de référence qui indique le niveau de soutien actuel à l'hectare, et pour laquelle on constate de forts déséquilibres entre Régions, on mesure l'importance pour certaines d'entre elles de jouer un jeu européen plutôt qu'un jeu français s'il n'y a pas de redistribution des soutiens.

Sous la pression de groupes de pression associés à tel ou tel type de production, ou dans un souci de redistribution compatible avec les règles communautaires, un Etat membre peut être tenté de maintenir certains soutiens spécifiques, avec le risque d'atténuer les avantages globaux retirés du découplage. La section §5.2.2 analyse ce qu'il en est pour la France, avec le maintien de certains soutiens compensés par la baisse de certains prix. Compte tenu de la baisse proposée des prix qui ne concerne plus seulement les producteurs et contribuables, la comparaison avec le scénario de la réforme de base n'est pas totalement pertinente. Dans cette variante, la prime à l'hectare est toujours calculée sur la base d'un budget agrégé identique à ce qu'il est en situation de référence.

Avec la "variante" ainsi étudiée, la baisse de la marge brute agricole par rapport au scénario de la réforme de base serait de 300 millions d'Euros pour la France entière. Ce résultat est obtenu lorsque la prime est calculée sur une base nationale. Toujours avec ce mode de calcul, si beaucoup de régions sont "indifférentes" au changement de scénario, seules deux d'entre elles (les Régions PACA et Languedoc Roussillon) y trouvent un léger avantage. Il semble donc que les aides spécifiques sont un mode coûteux de soutien destiné aux producteurs de blé dur et de protéines. L'appréciation qui est portée ici repose surtout sur l'impact régional. Cet impact est évidemment proportionnellement plus favorable aux producteurs spécialisés.

Il serait donc nettement plus avantageux pour la France de défendre une politique de découplage systématique, avec la possibilité de transferts budgétaires entre groupes de producteurs sur la base des soutiens budgétaires du passé. La contrepartie d'une politique d'individualisation des soutiens est son coût d'implémentation et de contrôle, éventuellement compliqué par des stratégies individuelles qui pourraient évoluer en matière de cession, d'agrandissement ou de morcellement des exploitations.


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Pierre-Alain Jayet
2003-01-31